mardi, août 14, 2007

orthodoxie et hétérodoxie en économie

Pour qui dispose de quelque réflexe étymologique, il y a quelque chose de très étrange à voire de nombreux économistes discuter des approches orthodoxes et hétérodoxes en économie, sans jamais s’interroger sur l’origine et le sens de ces deux termes. Ce paradoxe est d’autant plus surprenant et signifiant, que passer 10 minutes à interroger un dictionnaire suffit à révéler toutes les erreurs des interprétations vulgaires de ces termes et d’en faire éclater leur véritable sens scientifique.
Car enfin : comment a-t-on pu en venir à ce triple non sens étymologique qu’il y a à opposer Orthodoxie à Hétérodoxie ?
Considérons un peu :
 un propos orthodoxe est étymologiquement un propos conforme à une opinion droite.
 Un propos hétérodoxe à un autre est étymologiquement toujours, un propos qui relève d’une opinion différente de celle dont relève celui auquel il est comparé.

On ne peut donc logiquement opposer un propos orthodoxe qu’à un propos Scolidoxe, c’est à dire un propos conforme à une opinion tordue.
L’orthodoxie, ensemble des propos conforme à une opinion droite, s’oppose à la scolidoxie, ensemble des propos conforme à une opinion tordue. Elle ne saurait s’opposer à l’hétérodoxie ou aux hétérodoxies. C’est là le premier non sens de l’opposition orthoxie-hétérodoxie.

De plus, un propos hétérodoxe d’un autre, d’une opinion différente, ne peut logiquement s’opposer qu’à un propos homodoxe, renvoyant à une même opinion.
L’hétérodoxie, étymologiquement, est l’ensemble des propos qui renvoient à des opinions différentes. L’hétérodoxie s’oppose à l’homodoxie, ensemble des propos qui renvoient à une même opinion. L’orthodoxie peut être hétérodoxe, s’il existe plusieurs opinions droites en désaccord. La scolidoxie peut être homodoxe si tous sont d’accord sur une seule et même opinion qui se trouve être fausse.
Là réside un deuxième non sens de l’opposition orthodoxie-hétérodoxie.

Un propos orthodoxe a des qualités propres, catégories substantielles, qui le définissent comme conforme à une opinion droite. En revanche un propos hétérodoxe (à un autre) n’a que des qualités relationnelles, il est différent d’un autre. Pourquoi opposer un terme renvoyant à des qualités propres, et un autre à des qualités relationnelles ?
Là réside le troisième non sens de l’opposition orthodoxie-hétérodoxie.

Une fois que ce détour vers l’étymologie et la logique a été opéré, le problème qui nous est posé en tant que chercheur change de nature. Il ne s’agit plus de parler de l’orthodoxie et des hétérodoxies et de leurs combats, nous savons en effet que ces termes sont trompeurs. Il s’agit plutôt désormais de comprendre qui a intérêt à parler dans ces termes, c’est à dire qui a intérêt à tromper les autres.

Historiquement, les dominants d’une institution (l’église catholique en formation) se sont déclarés les tenants d’une opinion (doxa) tenue par eux comme droite et juste (ortho), ils se sont constitués comme formant l’orthodoxie dominante. Ils ont par la même déclaré toutes les autres (hétéro) opinions comme fausses, tordues, mais en refusant d’avoir à les discuter sur le fond, ce qu’aurait impliqué le fait de les appeler du terme de scolidoxes. Au contraire en se définissant comme s’autoproclamant membres d’une orthodoxie dominante, ils ont défini les autres (hétéro) comme étant dans l’erreur, sur la seule base de leur différence et de leur insubordination.
Accepter l’opposition orthodoxie-hétérodoxie, c’est clairement accepter les séquences argumentatives suivantes :
Nous avons l’opinion vraie, vous êtes d’une opinion différente, donc vous êtes dans l’erreur.
Nous dominons l’institution qui fait la part du vrai et du faux, vous contestez cette domination, donc vous êtes dans le faux.

Le premier énoncé suppose l’existence d’une vérité unique, si la vérité est unique, alors tout ce qui n’est pas vrai est faux.
Le second énoncé, plus radical affirme un rapport de force au sein de l’institution qui fait la part du vrai et du faux, du champ culturel, et exige plus radicalement la soumission des dominés au dominant, sous peine d’excommunication, c’est à dire d’exclusion du champ de la communication. Ce second énoncé suppose en arrière plan une affirmation selon laquelle il est nécessaire qu’it souhaitable qu’il y ait un groupe dominant dans le champ culturel.

Nous qui sommes éclairés par l’étymologie, pouvons plutôt lire dans cette collusion des dominants et dominés historiques, une même passion à faire passer la différence comme critère unique d’erreur, parce que l’unité homogène serait intrinsèquement liée au vrai.

Si tant de chercheurs continuent à opposer orthodoxie et hétérodoxie(s), c’est probablement parce que tous partagent ces deux présupposés : la vérité est une, il doit exister un groupe unique pour contrôler l’instance qui dit la vérité.

Autrement dit, les tenants des positions hinc et nunc « hétérodoxes » (dominées et tenues pour fausses) aspirent à s’instituer comme « orthodoxes » (dominants et tenues pour vraies) et à imposer à leur tour une soumission de tous à la nouvelle « orthodoxie » ?
La grande victoire de « l’orthodoxie » dominante réside précisément dans le fait qu’elle réussit à faire partager aux « hétérodoxies » dominées l’idéologie selon laquelle la vérité est unique et son instituion doit être contrôlée par un groupe unique.

En effet l’opposition orthodoxie – hétérodoxies est toujours une arme stratégique au service de l’orthodoxie. Celle-ci est posée comme unie dans le juste, dans sa lutte contre les hétérodoxies divisées dans et par leurs erreurs.
Il s’agit bien d’une stratégie dans la mesure ou l’orthodoxie est également traversée de contradictions et truffée d’erreurs, qu’elle parvient pourtant à masquer derrière une unité mythique imposée comme référence aux autres, réduits à l’état d’opposants.
Rien n’est plus patent en économie :
le mythe de la concurrence pure et parfaite sur des marchés parfaits totalement modélisés sert à cacher la diversité considérable dans les hypothèses ad-hoc posées par les différentes écoles « néoclassiques » afin de rendre compte des réalités qui constamment échappent à la modélisation.
Le mythe de la division des écoles hétérodoxes sert à cacher leur union autour de principes fondamentaux tels que le rôle de l’histoire et des rapports de force, du droit et de l’éthique.


Pour penser autrement que selon l’homodoxie scolidoxe régnante, osons les questions suivantes :
Hétérodoxe et hétérodoxie doivent-ils nécessairement étymologiquement être des termes relationnels ? Qu’arriverait-il si l’on se mêlait de donner un contenu substantiel à la notion d’hétérodoxie ?

Osons la définition suivante : est hétérodoxe, tout propos relatif à l’altérité.

Que s’est-il passé ? Qu’est-ce que cela change ?
Dans la première définition, un proposé était hétérodoxe d’un autre en ce qu’il renvoyait à une opinion différente sur un même sujet. Par exemple, « cela est grand » était un propos hétérodoxe du propos « cela est petit ». Tandis que « cela est grand » et « cela est plus long et large que la moyenne » étaient des propos homodoxes.
Dans la seconde définition, que nous osons ici, « cela est grand et ceci est petit » est en soi, un propos hétérodoxe dans la mesure où il suppose la possibilité de différences de tailles entre les êtres dont il est question. En revanche « les humains sont des êtres rationnels » est un propos homodoxe, dans la mesure où il traite des points communs aux êtres dont il est question. L’hétérodoxie traite des différences réelles, probables et potentielles et l’homodoxie des similitudes réelles, probables et potentielles.

Utiliser cette nouvelle définition permet de révéler encore plus ce qu’il y a de faux à opposer comme le font la plupart des économistes, les prénotions « orthodoxie » et « hétérodoxie ».
L’approche qui domine actuellement la discipline économique est une homodoxie : hostile à la différence (lites de biens), au changement (états du monde futurs et passés connus), à la découverte, à tout altruisme (hédonisme égoïste). En cela, cette approche est radicalement et indissociablement dans l’erreur positive et la faute normative. L’hétérodoxie en revanche constitue la seule approche orthodoxe en sciences humaines et sociales. L’Autre est ce qui constitue l’Homme. Si l’unité peut caractériser la matière en tant que l’humanité cherche à se la soumettre, l’humanité est en revanche essentiellement hétérogène en ce qu’elle est produite par des humains aux projets différents et conflictuels. Les variations historiques et culturelles témoignent du renouvellement constant des différences entre les hommes, par le fait même qu’ils s’entredéfinissent dans leurs relations. L’Altérité, l’altruisme et le renoncement à la dualité sont à la base de toutes les religions et de toutes les éthiques.
Être un scientifique et donc un hétérodoxe conséquent, c’est par conséquent renoncer par avance à devenir l’orthodoxie, réclamer la pluralité des voies vers le vrai et le nécessaire partage du pouvoir au sein des institutions en charge de dire le vrai et le faux, y compris avec ceux qui pensent hic et nunc être les seuls détenteurs de la vérité.

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