lundi, août 20, 2007

Le monétarisme mis à nu

Quiconque a du écouter un cours d’économie un peu conséquent a noté un jour cette équation :
M*V=Q*P
Avec M l’offre de monnaie déterminée par la banque centrale d’une économie fermée, V la vitesse de circulation de monnaie, Q les produits achetés dans l’année par les consommateurs et investisseurs finaux et P l’indice des prix à la consommation.

Quiconque a suivi quelque peu les informations économiques au cours de ces 20 dernières années sait que cette équation est devenue empiriquement fausse à partir du milieu des années 80 : la masse monétaire a continuer à croître aussi vite que durant les années 70, en revanche l’inflation du prix des biens de consommation a chuté et ce sans que cela soit explicable par une augmentation de la production et consommation des biens finaux. Qui plus est, l’usage croissant de monnaie électronique indique que la masse monétaire circule probablement plus vite que dans le passé. Alors que jusque dans les années 70 une augmentation de la masse monétaire semblait se traduire par une hausse des prix des biens de consommation, la relation semble brisée depuis le milieu des années 80.
Pourquoi ?



Dans les cours un peu plus avancés, on peut trouver un éclairage. On y précise en effet que la première équation n’est qu’une approximation de la seule équation logique et presque tautologique :
M*V = T*P
Avec T l’ensemble des transactions monétisées et P l’indice de prix de tous les biens.


Si par ailleurs, on a eu la chance, vu l’état actuel de déréliction de l’enseignement de l’économie, d’assister à un cours hyper avancé, genre un cours qui parle de Keynes, alors on peut avoir vu quelque chose comme :
M*V = T*P + S + R

Avec S la demande de monnaie à des fins spéculatives, notamment en anticipation de hausse des taux d’intérêt réels et de baisse des prix et R la demande de monnaie en réserve, en prévision des transactions futures. Cette partie là est vraiment très avancée. Elle fait entrer dans les subtilités de la pensée keynésienne, les notions d’anticipations, de mimétisme et de risque non probabilisable... C’est pourquoi il n’est pas souhaitable de l’aborder immédiatement. Et puis surtout, l’apport keynésien a pour désavantage de ne pas aider à bien comprendre en quoi la vision monétariste de la théorie quantitative de la monnaie est fondamentalement en erreur.

Pourtant, comprendre en quoi la théorie monétariste est en erreur, c’est très simple. Il suffit pour cela de comprendre en quoi la première équation n’est pas un fidèle résumé la deuxième équation.
La seconde équation semble vraie et même tautologique. Elle serait d’ailleurs vraie si la monnaie avait uniquement pour fonction de permettre les transactions. Le sens de cette seconde équation est le suivant :
Si la monnaie ne sert qu’à permettre des transactions, alors le montant de monnaie que les autorités monétaires ont autorisé à circuler, multiplié par la vitesse de sa circulation est nécessairement égal aux transactions monétisées réalisées multiplié par l’indice de prix de tous les biens ayant fait l’objet de transaction.
Cette équation peut être résumée ainsi, le montant d’argent en circulation est égal au montant utilisé pour les transactions, de sorte que si il y a plus d’argent en circulation et si il n’y a pas plus de transactions eh bien le prix des biens faisant l’objet de transactions va augmenter.

Quelle différence y a t il donc entre cette deuxième équation qui logiquement est vraie et la première équation qui empiriquement est fausse ?
Il y a essentiellement trois différences :
exclusion des transactions intermédiaires,
exclusion des transactions portant sur les biens de capital (et de consommation) produits à des périodes antérieures,
exclusion des biens de capital de l’indice des prix.

On ne peut pas logiquement dire, la somme de l’argent en circulation est égal aux transactions finales, multiplié par l’indice de prix des biens de consommation.
On peut éventuellement supposer, parce qu’on est crétin par exemple, ou parce qu’historiquement cela a été vrai pendant une longue période ou parce que tout simplement on a un indice des prix de la consommation et une mesure des dépenses finales et puis c’est tout, ou un peu des trois, que le nombre de transactions finales sur les biens de consommation et d’investissement approxime le nombre de transactions totales.

1 Exclusion des transactions intermédiaires
Exclure les transactions intermédiaires est probablement l’opération qui porte le moins à conséquence. Tout ce qu’on peut éventuellement supposer c’est qu’avec le temps, l’ouverture des marchés, la centralisation des circuits de distribution, le nombre de transactions intermédiaires a progressivement augmenté. Cela paraît logique a première vue. Il n’y a de moins en moins de lien direct entre consommateurs et producteurs et au contraire un producteur lointain vendant à une série d’intermédiaires avant que son produit n’atteigne le consommateur final. De même si l’industrie a eu tendance à réduire sa concentration verticale en augmentant son recours à la sous-traitance, alors il y a plus de transactions intermédiaires monétisées. Bref si cette hypothèse d’une augmentation durant les trente dernières années des transactions intermédiaires est juste, alors l’augmentation dans les biens finaux acquis dans l’année (hausse du PIB réel) sous estime l’augmentation des transactions totales nécessaires à cette hausse du PIB réel. On peut exprimer cela autrement et dire qu’il y a parallèlement à la vitesse de circulation de la monnaie une vitesse de circulation des biens. Si les biens se rendent directement du producteur au consommateur, alors le besoin en monnaie est plus faible que si les biens doivent passer par un nombre élevé d’intermédiaires.
Naturellement il doit exister des périodes ou le niveau d’intermédiation diminue, par exemple on peut penser que lors des crises économiques, les producteurs cherchent à écouler plus directement leurs biens aux consommateurs proches.
On peut voir ici, un article d’une personne qui cherche à fournir un moyen de mesurer le nombre de transactions intermédiaires, dans une optique totalement différente de celle qui est présentée ici, ce qui s’explique aussi par la date de sa publication.

2 Exclusion des transactions sur les biens de capital générés à des périodes antérieures
Il faut ici commencer par évoquer ce que l’on appelle bien de capital. Un bien de capital est un bien qui est acheté non à des fins de consommation, mais en vue de constituer un stock de richesse ou de générer un flux de revenus. C’est aussi un bien durable que la consommation n’use pas.
On classe traditionnellement dans les biens de capital les biens suivants :
Terrains, immobilier, Fonds de commerce, brevets, marque, équipements de production, art.
Il faudrait aussi y inclure selon nous les biens financiers suivants :
Actions, obligations.

Le fait d’inclure les actions pose certaines difficultés. Les entreprises achètent en effet des biens de capital tels que terrain, immobilier, brevets, fonds de commerce, marques, équipements de production. Si une action est aussi un bien de capital, alors les mêmes biens sont comptabilisés deux fois, une fois comme achat par l’entreprise, une deuxième fois comme facteurs de la valorisation de l’entreprise. Ce qu’il faut donc comptabiliser c’est l’écart entre la valeur boursière de l’entreprise et sa valeur comptable.

Une chose est certaine, dans la première équation, on ne voit les transactions sur les biens de capital que de façon très partielle. Seul est pris en compte l’investissement final annuel. Les transactions portant sur les biens de capitaux fabriqués à une période antérieure sont tout simplement ignorées. Donc si par exemple une maison neuve est fabriquée cela est prix en compte. Par contre si à l’occasion d’une bulle immobilière les habitants d’un pays changent de maison de plus en plus souvent, si le nombre de transactions portant sur les maisons anciennes double en 10 ans, cela passe totalement inaperçu. Plus exactement, les statistiques n’enregistreront que l’activité des agents immobiliers et des banques, mais pas le montant des transactions.
Il en est naturellement de même si les actions des entreprises changent de main de plus en plus souvent.
J’ajoute que ce raisonnement particulièrement valable pour les biens de capitaux pourrait s’étendre aux biens de consommation. Si les gens achètent des biens usagers sur des foires de quartier ou sur ebay, cela n’est pas comptabilisé non plus. La faible durée de vie moyenne des biens de consommation, le fait que la « récupération » soit toujours en concurrence avec la production et par conséquent la faible variation des prix sur le marché parallèle fait que la prise en compte de ce phénomène pour les biens de consommation n’est probablement pas essentielle.
En revanche, la prise en compte des transactions sur les biens de capitaux est essentielle. En effet qu’un abruti (Milton Friedman) puisse dans les années 60, époque ou les marchés de biens de capitaux ont un rôle mineur et les transactions sur ces biens sont rares, dire que la création monétaire a un impact direct sur le prix des biens de consommation, je veux bien, mais aujourd hui un jour de transactions boursières conduit à plus d’échanges qu’une année de transactions finales dans la comptabilité, alors faut pas se foutre de la gueule à mémé.
Disons le clairement et simplement : Il faut de l’argent pour acheter les actions et les obligations. Si il n’y a plus d’argent, on ne peut plus les acheter, on ne peut plus les vendre et leur prix chute.
On trouvera ici un article qui montre que le boom des marchés financiers dans les années 20 a été la cause déjà d’une hausse des besoins en monnaie et que la banque centrale américaine n’a pas compris cela à l’époque, conduisant à une politique trop restrictive (ou hélas non consciemment affirmée comme hostile a la hausse des marchés financiers pourrait on dire) parce que à l’époque elle pensait que les marchés financiers étaient mineurs par rapport aux transactions réelles.
Autant dire qu en 2007 avoir le même genre d idées débiles qu en 1920 c’est vraiment être très arriéré.

3 Exclusion des prix des biens de capital de l’indice de prix
Autant on peut trouver des excuses au monétarisme pour les deux erreurs antérieurs, on peut supposer qu’ils ne pouvaient pas deviner, les cons, la financiarisation de l’économie que leurs conseils de politiques débiles allaient entraîner. Ils pouvaient pas être monétariste et avoir lu Polanyii…
Autant on ne peut pas trouver des excuses à cette dernière erreur. Parce que c’est quand même un comble, dans la première équation on a un premier terme qui porte sur l’ensemble des transactions finales y compris donc l’investissement des entreprises et des particuliers : achat de maisons, de machines … Par contre, ah ça vraiment c’est fort, l’indice des prix c’est uniquement le prix des biens de consommation. Bah il est passé où le prix des biens des investissements ? Il varie nécessairement comme le prix des biens de consommation ? C’est quoi ce délire ?
Il est évident qu’il est nécessaire de calculer un indice des prix de biens de capital basé sur un portefeuille de l’investisseur, complément naturel du panier de la ménagère. Nous avons salué d’ailleurs l’initiative en ce sens de la Nouvelle Zélande.

4 Conclusion
Il est faux de dire qu’à partir du milieu des années 80 il y a eu une période de désinflation en occident. Tout ce que l’on peut dire c’est qu’au tournant des années 80 l’inflation a quitté les prix des biens de consommation pour glisser dans le prix des biens de capital (immobilier, actions, art). En aucun cas l’inflation n’a cessé, elle a juste changé de medium. La théorie quantitative de la monnaie est évidemment vraie, a condition de reconnaître l’inportance des transactions sur les biens de capital produits à des périodes antérieurs, des transactions intermédiaires sur les biens et de créer des outils statistiques permettant de mesurer l’importance de ces transactions et l’évolution des prix des biens de capital.

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