mardi, octobre 18, 2005

La dette : notre nouvelle tour de babel

L’épisode de la tour de Babel dans l’ancien testament est souvent présenté comme étant une tentative dérisoire des religieux d’expliquer a posteriori la diversité linguistique parmi les humains. Les hommes auraient voulu dresser une grande tour qui atteigne les cieux. Dieu, excédé de tant d’outrecuidance aurait alors introduit la diversité des langues parmi les hommes. Ceux-ci, soudainement divisés, incapables de se comprendre auraient du renoncer à leur projet grandiose.

Bien entendu il y a beaucoup plus que cette interprétation littérale à l’évidence historiquement fausse. Mais quoi ?

René Girard
René Girard est le développeur génial de son unique idée : les humains n’ont pas de désir propre, ils désirent en fonction des autres. L’idée en soi n’est pas radicalement nouvelle on trouve un concept de sympathie assez proche chez Hume, Smith, et Spinoza explique très bien qu’on aime ce qu’aiment les gens qu’on aime et hait ce que les gens qu’on hait aiment. La spécificité de René Girard réside dans l’idée que selon lui, le désir mimétique conduit nécessairement à la violence, une violence qui se répand de proche en proche. Pour mettre fin à cette violence, ou la conjurer, la société fait converger tous ces désirs de violence vers une unique victime, le bouc émissaire. Avec le bouc émissaire surgit une dimmension sacrée, une valeur qui vaut pour tous. La mise à mort, réelle ou symbolique du bouc émissaire permet de fonder la loi, l’interdiction du meurtre. Voilà pour un rapide résumé d’une pensée riche et éclairante. Les personnes curieuses peuvent en savoir plus ici.

Quel lien entre René Girard et la tour de Babel ?
Nous voulons ici raconter une autre histoire. Fut une époque, les humains voulurent atteindre au pouvoir absolu, au pouvoir divin. C’est une époque qui se poursuit en fait encore maintenant, une époque qui n’a jamais cessé de toute l’histoire de l’humanité. Les humains avaient décidé de batir une grande tour pour atteindre le ciel, de contrôler l’écosystème de leur planète, de s’endetter à l’infini … Peu importe le projet, l’idée est la même, accéder au pouvoir infini. Ce projet commun les unissaient tous dans leur diversité, ils adoraient le même objet, le même bouc, la même tour, le même système financier. Ils étaient optimistes, ils priaient, ils chantaient, ils attendaient le succès. Ils étaient attachés à la réussite de leur projet.
Malheureusement, le pouvoir absolu n’est pas de ce monde pour les humains. Alors un jour la tour s’est écroulée, l’écosystème s’est déréglé, il y a eu un krach financier. Peu importe l’échec. L’optimisme excessif de la période préalable avait fait naître des attentes considérables. Celles-ci n’étant pas rempliées, ils ont connu la souffrance, ils ont été déçu, ils sont devenus pessimistes. Chacun alors a quitté l’espoir dans le projet collectif du pouvoir absolu, pour la quête d’objectifs plus particuliers. Chacun a quitté la langue commune pour sa langue particulière.
En résumé, lire l’allégorie de la tour de Babel, c’est avant tout comprendre que, tout projet commun crée bien sur une langue commune, mais que lorsqu’il est déraisonnable, il ne peut mener qu’à l’échec. Or avec l’échec, reviennent les langues particulières. Ce n’est pas la diversité des langues qui a fait l’échec de la tour de Babel, mais l’échec ce projet délirant qui a conduit à la diversité des langues.
L’Allégorie de la tour de Babel éclaire le passage régulier d’un marché d’échange à un marché spéculatif à un marché d’échange, elle infirme la thèse simpliste de René Girard. Il y a toujours une période durant laquelle chacun parle sa langue particulière a ses propres désirs et se moque des autres qui demeurent de toute façon incompréhensibles. Durant cette période, un marché permet par exemple des échanges. Puis vient toujours une période durant laquelle, les langues se fondent, tous les désirs se dirigent vers un même objet d’élection, dans l’imitation des autres. Il y a alors un désir d’enrichissement commun dans une monnaie de plus en plus virtuelle, ou d’accroissement de pouvoir de plus en plus virtuel. Le projet commun crée des attentes délirantes qui naturellement ne peuvent qu’être insatisfaites. Chacun revient alors à ses désirs, sa langue, sa morale, ses forces, ses liens particuliers et propres.

Quel lien entre la tour de Babel et la dette ?
A ce stade le raisonnement est probablement évident pour tous.
Un prêt-une dette c’est toujours un pari sur l’avenir, pari sur la capacité à rembourser ce prêt dans le futur. L’augmentation de l’encours des prêts d’un pays est donc une mesure implicite de son degré d’optimisme sur l’avenir. Si la société augmente son endettement, c’est qu’elle pense pouvoir à l’avenir accroître ses revenus pour rembourser ces dettes. De fait très souvent l’endettement permet l’acquisition et la fabrication de biens productifs (machines, usines, maisons). Accumuler des dettes à l’infini, est l’équivalent moderne de construire une tour de Babel. Pouvoir s’endetter à l’infini, sans se préoccuper de sa capacité à rembourser, c’est accéder à un pouvoir d’achat infini.
Ce n’est un secret pour personne que le monde entier est actuellement dans une spirale d’endettement croissant. La dette des gouvernements, des consommateurs, des banques croit de façon beaucoup plus rapide que les revenus des gouvernements, des consommateurs et des banques. Seules les entreprises ont un comportement d’endettement à peu près raisonnable.

L’allégorie de la tour de Babel nous dit exactement ce à quoi il faut s’attendre. A l’évidence le processus d’accumulation d’endettement ne peut se poursuivre à l’infini. Il devrait s’interrompre très prochainement, soit via une réduction forte de l’activité financière, une déflation sévère, des faillites, une dépression, soit via une création de monnaie centrale très très forte, l’organisation concertée d’une hyper inflation annulant les dettes antérieures. Quel que soit le mode d’arrêt de cet optimisme mondial sur les revenus futurs, de cette spéculation à la hausse, l’allégorie de la tour de Babel nous dit que la division en résultera.

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